mercredi 12 septembre 2007

11 ~ NENE : Le vahiné

C'était le mois d'août, j'étais en congé. Bien mérité. Allongée, allanguie, huilée sur une plage océane. Tranquille, avec pour seule compagne une méduse agonisante probablement pêchée par des enfants et larguée sur le sable. Silencieuse compagne, idéale. Je me sentais loin de tout, du quotidien, de tout lien. Juste un souffle, juste les vagues, juste ce bruit régulier qui fait oublier le ronron chaud qui sent la poussière des macs et de l'imprimante. Là-bas, ça ne captait pas, risquait pas d'entendre sonner un nokia. Allongée, allanguie, huilée, je lisais mon ELLE, j'avais le droit d'avoir sommeil. Le soleil était chaud, la marée descendait, ça sentait la dune. J'étais bien, à plat ventre sur ma natte, l'oeil clos. Je voulais rester là-bas pour toujours. Devenir un coquillage, ne plus me poser de questions plus qu'un crabe ne le fait, être une puce de sable légère et ivre de liberté.
Soudain un frisson me parcourut, comme une appréhension animale. Y'avait du danger. C'est ridicule, je me disais. J'étais tellement bien, j'avais pas envie d'être interrompue. Si j'ouvrais l'oeil pour voir ce qu'il y avait, j'allais perdre la torpeur qui m'habitait. Mais la chair de poule gagnait et faisait la ola sur mon corps. Je m'étonnais : "Mince alors, j'ai froid ou quoi ?" Mon coeur battait à 100 à l'heure. Comme si j'avais peur. Je me résolus à me retourner. Je vis alors entre le soleil et moi un cul qui me faisait de l'ombre. Masculin et portant en dépit d'un âge certain un string minimaliste. Le cul était debout, mains sur les hanches, les jambes bien plantées dans le sable et écartées à tel point que pour tout panomara - contre-jour oblige - j'avais pleine vue sur ses attributs. Le cul regardait l'horizon et semblait n'avoir pas eu d'autre idée que de venir l'admirer à 3 mètres de ma serviette. Je toussai. Pas de réaction. Je retoussai. Rien. "Ma parole, ce cul est sourd !" Je tentai un "s'il vous plaît ?". Et là le cul se retourna et répondit sèchement : "quoi ?" Est-ce la chaleur, mes verres fumés ou le demi-sommeil, j'ai cru alors voir... Je jetai mes lunettes et clignai. Le cul se mit alors à rire. Le frisson me revint, cette sensation de péril imminent... Pourquoi n'avais-je pas continué à dormir ? Mon instinct m'avait pourtant prévenu que l'impensable allait se produire : pur hasard et comble de guigne, Néné avait choisi la même plage que moi. A 600 bornes du bureau, il avait fallu que je le retrouve là, que je me retrouve face à lui. Ou dos à lui plutôt. Non seulement je supportais sa tête à longueur d'années, mais encore fallait-il que je vois son cul ridé pendant mes congés. Et ledit cul de se mettre à plaisanter de cette coïncidence incroyable qui si-ça-se-pouvait aller nous rapprocher. Puis il me balança, l'oeil lubrique, : "sympa ton bikini !" Tout occupé qu'il était à me mater, il avançait. Je ne fis rien pour le repousser, au contraire, je lui sourit pour l'attirer. Ca vous étonne ? Vous allez comprendre. J'étais là, un brin tétanisée, riant par devant, rassemblant mes affaires par derrière. Il ne s'est pas méfié, tout occupé qu'il était - aussi - à se figurer que ce soir il allait peut-être me sauter. Plus qu'un mètre. Néné touchait au but. Et paf ! Droit sur la méduse échouée ! Néné hurla, s'effondra, se panant dans le sable en se tenant le pied. Offrant en prime aux badauds qui venaient voir ce qu'il se passait le spectacle d'un string qui baillait. D'où, sans doute, le peu de compassion apparente et les sourires à peine discrets du public qui ne s'est pas hâté pour lui indiquer le poste de secours. Pendant ce temps-là, j'ai filé.
Le soir même, je posai mes bagages dans un bungalow retiré, loué à la hâte dans un minuscule village du pays basque espagnol. Choix de coeur... et calculateur : je misais sur le fait que les lacunes linguistiques de Néné seraient le frein nécessaire pour ne pas le voir franchir la frontière. Dans le camping ce soir-là, c'était soirée "ELECTION MISTER ETE". Sur l'affiche, un bodybuildé pleine de dents blanches et à peine vêtu. Mais dans la réalité, qui serait-il ? Par ennui, j'avais envie d'y aller. Mais pensais aussitôt : "faut pas tenter le diable deux fois dans la même journée"... c'est plus raisonnable. Les hommes qui exhibent leur croupion comme les élections, ça m'a pas beaucoup réussi ces derniers temps. Je suis donc restée dans mon bungalow, allongée, allanguie, à rêvasser, à m'interroger : comment garder toute considération pour son patron dont on a vu le fion ? Néné, avait-il espionné mes dizaines d'heures de connexions à la recherche d'une destination de vacances ? si cette rencontre prouvait que Dieu existe, quelqu'un pourrait-il lui dire d'arrêter de se prendre pour meetic ? Pour finir, je m'endormis et me promis de faire un don à une fondation qui oeuvre à la sauvegarde des méduses. Après tout, ça n'est que justice pour m'avoir aidé à transformer Néné-qui-se-prendrait-bien-pour-mister-été en un ridicule-monsieur-string-médusé.




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Question de territoire & instinct de propriété

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