jeudi 14 juin 2007

4 * animisme à marseille > LA STATUE QUI DENONCAIT L'IMPOSTURE

Ses bras. Si elle les avait écartés, tout aurait changé. Sa taille. Si elle avait fait 29 mètres de plus, on aurait pu rivaliser. Son attitude. Si elle avait mimé quelques mouvements même discrets, le pari était gagné. Mais voilà, elle, tout ce qu'elle voulait c'était aérer son minot et contempler l'horizon. Certes, elle est jolie, brillante, propre sur elle, bonne mère apparemment. Mais pas assez glamour, statique, trop bobonne finalement. Toutes les études de consommation le montre, au sein du ménage c'est la femme qui est prescriptrice en matière de destination touristique. Alors tout rapide qu'il soit le TGV ne suffit pas. Parce que la femme quand elle part en vacances, exprimera-t-elle le souhait de venir visiter cette allégorie de la femme au foyer ? Evidemment, y'a plus tentant. Exemple. Un homme, 38 mètres, imposant, bras ouverts ? Si peu que la passion du couple soit un peu éventée, y'a pas photo, la femme préfèrera ce géant séduisant. Malgré la robe qu'il porte, il ressemble, c'est frappant, à un prof d'aérobic qui mouline pour muscler ses triceps. Même si la femme ne serait pas contre un petit short en lycra pour l'esthète, sa robe finalement entretient un certain mystère... et pour peu que monsieur soit en crise de la quarantaine, lui aussi pourrait avoir envie de fantasmer sur les dessous cachés de la chasuble. Toutes les agences de voyages vous le diront, c'est en partie à cause de ça qu'à l'escale phocéenne, on préfère celle de Rio. Il serait cependant injuste d'incriminer la seule dame qui surplombe. Parce qu'il ne faut pas grand chose, pour que ses bras carrément ils tombent. De désespoir et d'impuissance. Pour Marseille, elle, elle fait ce qu'elle peut, jouant la sage protectrice auprès des supersticieux. Et le chef de tribu de la ville, lui, que fait-il ? Il réfléchit à la question ainsi : si Rio se fait une super publicité, pourquoi pas Marseille ? Les points communs sont nombreux : passion du foot, 2 lignes de métro, criminalité, plages, bidonvilles, pollution. Avec ça, on ferait même une petite nation. Après tout, suffit d'orienter le regard de l'extérieur. Question d'ambassadeurs et d'appelations : marseillais contre cariocas, Prado contre Copacabana, Prophète contre Ipanema, va falloir revoir tout ça. A Marseille, faut lui trouver son Paulo Coehlo traduit en toutes langues, son Pain de Sucre hors boutique, un Corcovado, un peu de pétrole et un Barry Manilow meringuant sur un air de plage... Ca devrait pouvoir se faire un bon coup de cache-misère ! Oh là là, la dame d'en haut hoche la tête. L'est pas d'accord pour qu'on fasse du ménage, à coup forcé de marketing enjoué. Et le chef de tribu de Marseille de lui rétorquer : « Eh faudrait voir à plutôt t'occuper de ton marmot au lieu de venir me faire la morale ! » En disant ça, il avait négligé une chose. Une seule. La pin-up là-haut, elle est pas looké brésilienne mais ça l'empêche pas de penser et de vouloir éviter la dérive. Elle affirme haut et fort de son piédestal : inutile de mentir, inutile de vernir, y'a des choses à Marseille qui ne sont pas belles à voir mais bien réelles. Quoi qu'on fasse, quoi qu'on dise, Marseille restera telle quelle : bordel, bazar, chaos... qui, caché derrière sa bonne conscience de ville "accueillante et ouverte" finit par nier jusqu'à son seuil de pauvreté. La dame est formelle : faut éviter la merchandisation qui brosse le portrait d'une Marseille que nul marseillais ne connaît. Eviter le pire, que cette ville devienne un énorme mensonge qui passe du polish sur la misère ambiante. Le chef de tribu aura beau implorer, la dame ne cesse de tout révéler, c'en est fini de mystifier. Pour attirer le touriste, faudra vraiment se bouger et agir au nom d'un peu d'humanité. Deux monuments-trois rues ravalés ne suffiront plus à tromper le touriste par média interposé. Faudra trouver les moyens d'être à la hauteur de son argument commercial, parce que maintenant tout le monde sait que la Marseille des brochures n'est pas vraie. Pour autant rien n'empêche de venir visiter. Tiens, mais oui quelle bonne idée de visiter la réalité ! Et de s'interroger : Noailles, exotisme ou pauvreté ? Belsunce, Alcazar ou marchands de sommeil ? Gens sur le trottoir, bronzage ou mendicité ? Cours Ju, bobos ou toxicos ? Marseille, populaire ou misère ? A vous de voir. La statue de La Garde, elle dit qu'à tous points de vue ça vaut bien Rio, même sans les biscotos. Argument économique de poids : à voir, c'est gratuit et au final peut-être même que ça enrichit...


Gardez le moral et admirez la prestance ! : Copacabana by Barry Manilow

mardi 12 juin 2007

10 ~ NENE : Proche du peuple

Néné vit à Marseille. Il n'y est pas né, c'est un pur produit d'importation... enfin vraisemblablement plus exporté qu'importé. Un petit cadeau de sa ville d'origine qui ne devait pas savoir quoi faire de ce spécimen, faute de musée. Bref, avant de se lancer dans la question anthropo-sociologique de Néné, voici une mise en bouche via l'étude d'une caractéristique linguistique que tous ceux qui le connaissent ont remarquée. Pour bien se faire entendre, pour bien se faire comprendre auprès du "petit peuple", Néné prend l'accent marseillais. Il a toujours refusé de l'admettre et pourtant c'est ce qu'il fait avec les petits employés, le cafetier, le plombier... en ponctuant savamment le tout de quelques expressions provençales pour faire plus authentique : "Coume vai ? balin-balan ! es un Fènis ! oh ! qu'acò's bèu !"*
L'explication scientifique est simple : son inconscient - qu'il ne faut jamais prendre à la légère - lui souffle que l'ouvrier est populaire et forcément à l'accent chantant. En parlant son langage, Néné prend le parti de se rapprocher de lui et de dépasser le clivage social. Il a le coeur au bord des pauvres et des incultes. L'homme ouvrier, il se met à sa hauteur, il se fait tout petit. Néné lui parle dans son patois, en articulant démesurément pour que l'autochtone-travailleur capte bien. Sauf que Néné n'a pas l'accent, en vrai. Alors ça sonne faux. Sauf que son prolo non plus, en vrai. Alors même si Néné lui parle en marseillais, le prolo, lui, continue de pratiquer le français. Et typiquement, au bout d'un quart de négociation sous-titrée, il se trompe d'accent : un peu de corse, un peu de québecois, parfois même le Néné se met à parler comme Jane B... Finalement, il s'épuise et enfin réalise : vu de loin on dirait que c'est lui le prolo, l'idiot, l'illettré. Seule alternative pour lui alors, rompre le "charme". Pour pas que ça se voit trop, Néné abandonne son accent d'un seul coup et enrobe le tout dans un ton odieux. Rien de tel qu'une enguelade-surprise-by-Néné pour que le poisson soit noyé. Poiscaille dirait-on. Là l'ouvrier hallucine mais tout prolo qu'il est, avec son besoin de bosser, il se tait. Manifeste un peu de mécontentement mais reste poli. Et Néné se sent grand, se sent beau, se sent éduqué, un peu le roi du monde. Le roi qui restera dans l'histoire pour avoir aboli la barrière de la langue. Un roi riche, beau, fort, adulé, avec une belle reine, une cour dévouée, un gros chateau et une immense BMW... faut pas déconner la calèche c'est quand même un peu daté. Et oui, Néné, l'homme de gauche, a des rêves inavoués de monarque endimanché. C'est pour ça qu'il sourit quand il somnole sous le parasol, c'est à ce mirage qu'il songe. Mais il devrait mieux écouter car à n'en pas douter son ménestrel provençal lui murmure à l'oreille : Qu toujour pren e rèn noun douno, A la fin cadun l'abandouno**.






* Comment ça va ? Comme-ci, comme ça ! Oh, comme c'est beau ! C'est un miracle !
**Qui prend toujours et jamais ne donne, à la fin, chacun l'abandonne.

vendredi 1 juin 2007

9 ~ NENE : La radio

Il y a quelques années. En fin de journée. Néné venait de se disputer avec sa maîtresse du moment qui se savait trompée. Il était presque 18h, Néné avait déjà commencé l'apéro dans son bureau, il écoutait la radio. Parfois il écoute Nostalgie espérant entendre son groupe favori, UB40. Ca lui rappelle sa trentaine, les joints, les années 80. Et il beugle dans un épouvantable anglais, imitant à la fois le chanteur, les chœurs, le synthé, le saxo, les percu et la trompette. Dans l'oreille ça produit comme un courant électrique c'est très pénible et très irritant. Pire que les pires candidats exhibés par la TV-radio-crochet. Mais ce jour-là, rien à voir, Néné écoutait une radio pour ménagères, la cible préférée de Néné. Il les écoute pour se moquer d'elles, celles qu'il appelle les mégères, les femmes-foyer, les périmées. A l'antenne, elles ouvrent leur cœur. Moi aussi j'écoute l'émission, dans mon placard, discrètement, en sourdine... sinon Néné me tuerait. Cette heure de récréation c'est d'abord mon moment d'humanité de la journée, j'entends enfin autre chose que Néné.
Mais ce jour-là, c'est Néné que j'ai entendu parlé en direct sur radio-mémé. « Bonjour je m'appelle Néné, j'ai 50 ans dans quelques jours, avec ma copine on s'est disputé, je suis déprimé, parfois j'ai envie d'en finir... » Quel salaud ! Aller solliciter la solidarité quand on insulte les gens à longueur de journée ! Mais il avait vu juste et tapé à la bonne porte. Il avait touché le cœur des auditrices et aussitôt le standard a explosé. Janine proposait une randonnée à dos de poneys, Chantal un cours d'occitan, Anne-Marie une exposition de verre soufflé. Et chacune de lui assurer que tout allait s'améliorer, que sa copine reviendrait, qu'à 50 ans on est plus jeune que jamais. Et vas-y que je te laisse mon numéro hors antenne pour convenir d'un rendez-vous pour se changer les idées. Et Néné de se plaindre, de pleurnicher... Fallait mettre fin à cette mascarde, j'en pouvais plus l'entendre faire sa complainte de l'homme brisé. Alors MOI AUSSI j'ai appelé la radio, parce que MOI AUSSI je voulais parler à Néné. J'avais prévu de le cuisiner sur ses relations amoureuses pour qu'il finisse par avouer son goût prononcé pour l'imposture et l'extra-conjugalité. Une fois découvert, les auditrices le chargeraient, le lapideraient en direct et il pourrait dire adieu à tous les extras qu'on lui avait fait miroiter. Au standard de la radio, on m'a fait patienter. J'étais donc en attente, un peu tremblante, des post-it collés sur le combiné pour brouiller ma voix. De loin, j'entendais la radio de Néné siffler, y'avait des interférences et j'avais peur de me faire griller.
Rien de tel n'est arrivé car Néné a fait d'un seul coup ce qu'il fait de mieux : se couler. Passer à la radio n'empêche pas de boire et Néné avait grand soif. Ballon sur ballon, au bout d'un quart d'heure d'antenne, le vin rouge lui est monté à la tête. Et à Angèle qui lui proposait de venir balader avec elle ses caniches à poil court, il a répondu en se marrant : « j'en ai rien à branler de tes clébards ! » Angèle a failli s'étrangler, l'animatrice était scotchée et moi, dans un mouvement exécuté au ralenti, j'ai reposé doucement le téléphone en souriant... et vite remis mon transistor en marche. Néné ne faillissait à sa nature profonde : il était en train d'insulter en direct toutes les femmes de la Terre... avant d'être coupé. Pendant l'heure qui a suivi, l'antenne a servi de cellule psychologique aux auditrices scandalisées, traumatisées, encore sous le choc. Je me suis rendue compte à quel point je m'étais endurcie ces dernières années, mon seuil de résistance à la Nénétitude avait encore reculé.
Néné a fini sa deuxième bouteille de Bordeaux, avant de s'avachir ivre mort sur son bureau, la tête dans le cendrier. Avant de quitter l'agence ce soir-là, j'ai éteint sa radio et presque malgré moi, j'ai attrapé une garbadine qui trainait, accrochée au porte-manteau depuis une éternité, et l'ai posée sur les épaules de Néné. Décidément, on ne se refait pas. Le lendemain matin, alors que j'arrivais, Néné se réveillait, mal en point et gueule de bois. Il a attrapé la gabardine et l'a jetée par terre en criant : « Pourquoi tu m'as mis cette merde sur le dos, c'est un manteau de gonzesse, bon sang je suis pas un pédé ! » Les larmes aux yeux, je me suis dit qu'une fois encore Néné était chanceux, je n'étais pas armée. Pour autant pas question de laisser passer... alors quand Néné m'a demandé dans la seconde qui suivit si je pouvais aller lui chercher un truc à la pharmacie pour sa tête, j'ai bien pensé l'empoisonner. Je me suis vite reprise et lui ai dit que j'avais ce qu'il lui fallait dans mon sac. Je lui ai tendu 2 pastilles à la menthe qu'il a gobées avec son fond de verre. Confiant. Qui pourrait bien lui vouloir du mal ? Néné a passé sa journée à prendre mes « médicaments », à se croire mourrant tellement il avait mal au front, tellement son mal était résistant.
Moi, j'ai bien bossé. J'avais choisi mes activités et fait dans la perversité. J'ai appelé aol pour un problème technique, france telecom pour une erreur dans la facture et orange pour résilier. Tout ça dans une seule journée pour être sûre de bien énerver Néné... Car évidemment j'ai pris soin de mettre le haut-parleur pour que la lancinante et répétitive musique d'attente résonne puissamment dans la caboche de Néné. Et bien croyez-le ou non, je suis finalement sortie gagnante de cette journée. Et c'est à la longue attente pour la hotline d'un opérateur que je dois d'avoir vu ma vie de bureau changer. Avec la tête qui bourdonne, la cuite au bord du foie, qui supporterait 25 minutes d'extrait de UB40 joué en boucle ? Même pas Néné, pourtant fan des fans. Depuis cet épisode, son groupe préféré, il ne peut plus l'écouter... sinon il a la nausée.
Red red wine...






Toute la jeunesse de Néné...

Question de territoire & instinct de propriété

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