mardi 17 juin 2008

16 ~ NENE : Le syndrome des lunettes noires (1)

Néné se recoiffe rapidement.
Me demande si ça va.
Je réponds "oui, merci et toi ?"
Il me répond : "non, mon allure ça va ?"
Je dis "ben..."
Il s'énerve : "dégage et apporte-moi les classeurs BANQUE".
Il s'installe derrière sa table en verre.
Il porte ses habits de la veille.
Il sent vaguement la nuit, la fumée, la sueur.

On sonne. J'ouvre.
C'est le conseiller financier.
Je le fais entrer et pose les classeurs demandés.
Je m'éclipse.
Toutes oreilles tendues,
Je m'apprête à savourer.

Néné s'excuse, il va devoir garder ses lunettes noires.
Il a super mal aux yeux.
Conjonctivite.
Le conseiller tout pressé qu'il est de fourguer ses produits spécial PME n'en oublie pas pour autant les règles commerciales.
Il s'accorde 2 petites minutes pour donner dans la compassion.
Pour créer un climat favorable
A la signature d'un contrat d'affacturage.
Faut bien mettre en confiance et attendrir sa proie.
Mais monsieur le conseiller se trompe.
En faisant ça, lui-même il se fait proie.
Un engrenage a démarré, et dedans, il y a mis son doigt.
Néné est parti,
Au quart de tour,
Dans un grand récit fictionnel :
La conjonctivite la plus carabinée de l'Estaque
Trouve en peu de temps son origine dans un discours paranoïaque.
A la sauce OGM,
Pétrole de l'Etang de Berre
Et pollution atmosphérique.
Le genre de discussion culte pour moi :
Du "plus belle la vie" version psychotrope.
Néné excelle dans cet art.
Le conseiller tente de couper
La parole.
Le conseiller tente de couper
Court.
Mais c'est trop tard.
Néné court justement.
Néné est lancé,
Moteur impossible à couper.
Il a passé la nuit à faire le plein pour carburer.
Il a bu,
Il a sniffé,
Il est volubile à souhait.
Il imagine des connexions, des réseaux secrets,
Politiciens, laboratoires et mafia mélangés
Invente des conspirations écologiques et des menaces alimentaires.
"Vu ce qu'on nous cache, on nous dit pas tout".
Il allume clope sur clope, en jurant qu'il est difficile de préserver sa santé.
Il se penche sur le bureau pour attraper son briquet,
Son porte-carte tombe de la poche de sa veste,
Une légère poussière blanche s'échappe.
Le conseiller financier en a pour son argent.
Le pauvre homme tente d'embrayer sur les mots sécurité, prévoyance, avenir.
Mais la conjonctivite de Néné aura raison de lui.
Des pareilles, le conseiller n'en a jamais vues,
Pour lui aussi, c'est la pire de sa vie.
Il trouve ça un peu bizarre,
Trouve que quelque chose ne tourne pas rond.
Mais son esprit carré est encore loin de la vérité.

La vérité c'est que Néné est moitié bourré, moitié shooté.
Oui, il a mal aux yeux.
Son bleu de l'œil est rouge,
Son blanc de l'œil est jaune,
Et il a du mal à cligner.
Mais point de pus,
"Juste" de l'abus.
Néné tient l'alcool.
De moins en moins bien.
Mais tient.
Parfois, il boit trop d'apéro et de grands crus
Ca le cuit.
D'où cuite.
Néné tient la drogue.
Comme le croient tous les drogués
Qui pensent maîtriser.
Il tient. On lui en tend. Prends-en.
La coke, c'est un truc de jeunes branchés.
Rien de tel pour attirer Néné.
Fini les joints des années 80,
C'est de la drogue à papa ça !
Prendre de la poudre en chemise Dolce Gabbana
Ca, ça le fait.
Lui qui fait de la com', là il flirte avec la publicité,
Pour un peu, il se prendrait pour Beigbeder.
Mêmes ses références sont un peu datées.
Pete Doherty, j'aurais compris.
Au moins y'a du génie.
Il respire trop, pour oublier qu'il est morose.
(Snif)
Mais c'est son entourage qui ressent l'overdose.
En fait c'est moi, à 8h30, quand je me pointe.
Moi, qui le récupère heureux de vivre,
Planté devant la porte du bureau parce qu'il n'arrive pas à mettre la clef,
Cachés derrière ses fameux verres fumés.

Verres fumés
Lunettes à fumettes,
Ray-ban à came.
Stupéfiant.

Et systématiquement il fait le coup de la conjonctivite.
Ca ne rate jamais.
Un jour, je lui ai dit très sérieusement
Que c'était mauvais signe toutes ces infections.
Faudrait qu'il consulte un ophtalmo,
On ne sait jamais.
Un cancer de l'œil est vite arrivé.
Illico,
Néné le parano
M'a demandé de caler dans son agenda
Une visite
Chez le plus réputé des spécialistes.
Il croit tellement en lui,
Qu'il croit même en ses mensonges.
L'ophtalmo ne lui a trouvé qu'une presbytie
Et ça l'a foutu en rogne le Néné.
D'homme de la nuit branché coco
Le voilà simple homme à demi-lunes.
Pas cool.
Et les crises de lunettes et d'yeux myxomatosés ont continué.
En plus des nuits agitées,
A se frotter trop fort les yeux à l'heure de la sieste,
Les mirettes finissent par être vraiment irritées.
Au bout d'une heure, le conseiller a fui.
Il m'a dit "pauvre homme",
Je lui ai répondu "non, bad trip".
Il n'a pas compris.
Moi, j'ai bien ri.

Néné s'est allongé sur le canapé,
En face de moi.
Je lui ai fait signe
Que son nez saignait.
Comme on roule un pétard,
Il s'est fabriqué une mèche.
De kleenex.
Et a bouché la narine.
Il a trouvé l'énergie de se justifier :
"Hémophilie".
Et derrière ses lunettes de gogo,
D'un seul coup,
Quinquets clos.
Sommeil agité,
Mouvements désordonnés.
On aurait dit un chien qui rêve.
Moi, la canine,
Ca m'a agacé qu'il fasse le canidé.
Alors j'ai changé d'espèce
Le temps d'une journée.
Addictive à souhait.
Sur le balcon j'ai ronronné,
Satisfaisant ma dépendance aux UV,
Et savourant le doux opium
De ma tranquillité.
Telle est ma drogue,
Celle qui, moi aussi, me fait porter
Lunettes griffées.
Hight





Néné aurait tant voulu y être invité...

Question de territoire & instinct de propriété

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