mercredi 21 mai 2008

15 ~ NENE : Plus con qu'un supion / Un déjeuner d'affaires

9h00
Arrivée de Néné au bureau.
Il s'enquiert.
- T'as réservé une table pour 4 pour midi ?
- Non, j'ignorais...
- Putain, je te l'ai dit hier. Avec toi, faut toujours tout répéter. Y'a l'équipe de la grosse Rafinet qui vient pour la campagne de la rentrée. Allez magne-toi !
- Euh, hier j'étais en congé...
- Bon, on va pas épiloguer, ni y passer la matinée. Prends ton bigo et réserve ! Bouge !
- Où tu veux les emmener ?
- Roooooooooh, ch'ais pas, moi. Démerde-toi. Pas trop cher, hein ?

9h15
- Néné ! C'est ok pour 13h30 à la Maison basque.
- Rooooooooh, putain !! Pourquoi t'as réservé là-bas ? La bouffe basque, moi je trouve ça fade, gras et indigérable. Franchement j'aurais préféré La Table à Fredo. En plus, 13h30, c'est taaaaard. Fais-moi plaisir, annule et appelle Fredo. Appelle-le de ma part s'il faut, cette table je la veux.

9h16
Je me dis : "self control, ma belle, self-control, il n'est que 9h16".
Je fais le nécessaire. Tout est arrangé. M'a bien semblé entendre Fredo soupirer quand j'ai dit que je réservais pour Néné.
- Néné, c'est ok ! La Table à Fredo, 13h !
Aucune réponse, aucun merci. Service compris.

12h45
Je reçois un email, en provenance du bureau de Néné. 15 mètres nous séparent seulement, pourtant Néné préfère me faire part de ses pensées par ADSL interposée.
Le mail dit : "pense à te refaire une beauté pour le déjeuner".
Je réponds à haute voix :
- Comment ça ? C'est que j'ai rendez-vous, moi, pendant ma pause déjeuner !
Il me renvoie un mail : "moi + la grosse Sylvie Rafinet + son associé + toi = 4. Faut réviser tes classiques ! PS : si tu peux retirer tes boucles ethno-africano c'est mieux. Re PS : quand on va manger gratis, on évite de se plaindre."

12h55
Sylvie Rafinet et son associé arrivent, je les installe dans l'entrée qui fait office de salle d'attente. J'en informe discrètement Néné. Néné se planque dans son bureau. Il est plongé dans La Provence et aimerait finir de lire la rubrique des chiens écrasés.(paix aux canins)

13h25
Néné surgit de son bureau comme groggy d'avoir sorti la tête d'un gros dossier. Il salue tout le monde et dit : "mon assistante vient seulement de me prévenir de votre arrivée". Sylvie Rafinet regarde sa montre et me lance ce qui me semble être un regard de reproches. Je zappe, j'ai faim, je me mets "en veille".

13h40
Arrivée à la Table à Fredo. Avec quarante minutes de retard, forcément y'a plus de places en terrasse. Néné enrage, il voulait fumer. Crise n°1. C'est bien parti.

13h45
Fredo nous amène la carte. Et s'excuse : "alors en plats du jour, il ne me reste que 2 poulets aux herbes, 2 axoa de boeuf et en entrée 1 supion à la bayonnaise"... Néné râle de ce manque de choix : "eh, faut prévoir l'ami. Quand on a un commerce, faut savoir prévoir !! S'il t'en reste plus assez, c'est que t'as mal géré".
Surprise de Sylvie Rafinet, son associé toussote, je me cache. Fredo, habitué à Néné, s'abstient de répondre mais enrage.

13h50
Le drame. Fredo prend la commande. "qu'avez-vous choisi ?"
Néné coupe la parole à Sylvie Rafinet : "moi, je...".
Fredo profite de l'occasion pour rendre la monnaie de sa pièce à Néné : "et si on demandait à ses dames ce qui leur ferait plaisir ?".
Néné est scotché. Lui et le plaisir des dames, ça fait 2.
Sylvie Rafinet passe commande : "je prendrai une entrecôte au poivre vert et les supions en entrée... si personne d'autre n'en veut..."
Néné : "roooooh c'est pas vrai, juste l'entrée que je voulais !!"
Sylvie Rafinet : "mais Néné, vraiment je vous les laisse volontiers... "
Néné : "roooooh non, ça m'agace ce genre de trucs. Franchement, Fredo, c'est quoi cette façon de procéder, là. Pourquoi proposer des supions si y'en a pas pour tout le monde !"
Fredo exaspéré : "vous seriez venu à 13h comme convenu, des supions y'en avait encore."
Sylvie Rafinet : "quelle importance puisque je vous les laisse Néné ?"
Néné : "non, vraiment, là le déjeuner est gâché. Limite, si ça m'a pas coupé l'appétit. Ces supions me faisaient tellement envie. C'est vrai j'en ai pas mangé depuis une éternité."
Moi : "depuis que t'as oublié que Bayonne c'est au Pays Basque ?"
Je ne sais pas ce qui m'a pris de lui dire ça. C'est vrai que quand j'ai faim, faut pas me pomper l'air, je suis vite agressive.
Néné me fusille du regard et m'assassine en paroles : "toi, la ramène pas, tu veux."

Sylvie Rafinet se fige. Son associé toussote encore et toujours, muet comme la carpe qu'il va choisir de manger. Sylvie Rafinet a envie d'abréger, finalement, elle ne prendra pas d'entrée. Moi non plus.
Néné se croit obligé de détendre l'atmosphère et fait un commentaire : "ah pas d'entrée ? On se ravise ? Je parie qu'on se soigne avant l'épreuve du maillot ? Ah le syndrome des femmes au mois de mai !!"
Sylvie Rafinet, au bord du quintal sur la balance, ne relève pas. Personnellement, je me bourre de pain pour combler ma famine et m'empêcher de parler.
Néné mange seul son entrée. La bouche pleine, il parle contrat. Il me dit "note, mais note voyons". Entre mon assiette et le bord de la table, mon bloc-note se noircit des profondes pensées de Néné. Je note pour rien, je le sais, jamais il ne relira le compte-rendu qu'il me demandera de lui dactylographier. Au milieu de son monologue sur la campagne de rentrée, il s'interrompt, lâche que les supions sont trop salés... et ne finit pas son assiette.

14h15
Alors qu'on nous sert les plats, Néné quitte la table pour aller fumer. Par politesse, tout le monde attend qu'il revienne pour commencer. Sylvie Rafinet me demande s'il est toujours comme ça. Au bord de la crise d'hypoglycémie, la bouche pleine du dernier morceau de pain de la corbeille, je fais un signe de la tête. Se moquant de ma présence, elle dit à son associé qu'ils doivent appeler au plus tôt l'agence H&J pour la campagne de rentrée.

14h20
On mange froid. Sauf Néné qui demande à Fredo de lui réchauffer son axoa. Néné s'étonne du silence, Syvie Rafinet tente une sortie : "je crois qu'on doit encore réfléchir pour la campagne...".
Néné sent que l'heure est grave, décide à ce moment-là de prendre sur lui et envisage l'inenvisageable : coucher avec une grosse. Sans une once de psychologie ni d'analyse de la situation, il rebondit : "pour réfléchir à la campagne, rien de tel que la campagne... j'ai une villa dans le Lubéron, ça vous dirait ce week-end...". Cette fois, l'associé s'étouffe carrément. Une bonne diversion qui permet à Sylvie Rafinet d'éviter de répondre à l'ineptie de la question.

14h45
Pas de dessert. Re-commentaire de Néné, cette fois sur le sucre et la fatalité de la culotte de cheval chez les femmes. Lui seul prend un café.
Sylvie Rafinet a envie d'en finir, mais n'estime pas devoir payer la note. Je vois bien qu'elle a envie de le faire raquer pour ce déjeuner désagréable et inutile au possible. Je la comprends. Pour Néné, y'a pas de petites économies, si elle demande la note en premier, elle paiera, c'est toujours ça de gagné.
Mais Néné finit par céder... A 15h, il regarde toujours une vieille série sur TMC, "vintage" il dirait. Il fait ça en douce, il ignore que je le sais.
Pendant qu'il paye au comptoir et négocie un digestif offert pour la soif engendrée par le salage des supions, Sylvie Rafinet passe un coup de fil. Elle parle à son assistante. Enervée par le déjeuner, elle se fait de plus en plus désagréable, lui donne des ordres, fait son petit Lénine et lui raccroche au nez. Et dire que tout à l'heure elle me plaignait. Elle se repoudre le nez mais n'aperçoit pas dans son miroir de poche que, la grossièreté en moins, elle a aussi ses airs de Néné.

15h00
Retour au bureau.
Je respire.
Néné m'envoie un email "du coup, ça t'a fait 2 heures de pause à midi. Tu me dois donc 1 heure de boulot. Pense à finir plus tard un de ces soirs."
Je soupire.
A 15 mètres, dans son bureau, je l'entends allumer sa télé et roter.







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