mardi 12 juin 2007

10 ~ NENE : Proche du peuple

Néné vit à Marseille. Il n'y est pas né, c'est un pur produit d'importation... enfin vraisemblablement plus exporté qu'importé. Un petit cadeau de sa ville d'origine qui ne devait pas savoir quoi faire de ce spécimen, faute de musée. Bref, avant de se lancer dans la question anthropo-sociologique de Néné, voici une mise en bouche via l'étude d'une caractéristique linguistique que tous ceux qui le connaissent ont remarquée. Pour bien se faire entendre, pour bien se faire comprendre auprès du "petit peuple", Néné prend l'accent marseillais. Il a toujours refusé de l'admettre et pourtant c'est ce qu'il fait avec les petits employés, le cafetier, le plombier... en ponctuant savamment le tout de quelques expressions provençales pour faire plus authentique : "Coume vai ? balin-balan ! es un Fènis ! oh ! qu'acò's bèu !"*
L'explication scientifique est simple : son inconscient - qu'il ne faut jamais prendre à la légère - lui souffle que l'ouvrier est populaire et forcément à l'accent chantant. En parlant son langage, Néné prend le parti de se rapprocher de lui et de dépasser le clivage social. Il a le coeur au bord des pauvres et des incultes. L'homme ouvrier, il se met à sa hauteur, il se fait tout petit. Néné lui parle dans son patois, en articulant démesurément pour que l'autochtone-travailleur capte bien. Sauf que Néné n'a pas l'accent, en vrai. Alors ça sonne faux. Sauf que son prolo non plus, en vrai. Alors même si Néné lui parle en marseillais, le prolo, lui, continue de pratiquer le français. Et typiquement, au bout d'un quart de négociation sous-titrée, il se trompe d'accent : un peu de corse, un peu de québecois, parfois même le Néné se met à parler comme Jane B... Finalement, il s'épuise et enfin réalise : vu de loin on dirait que c'est lui le prolo, l'idiot, l'illettré. Seule alternative pour lui alors, rompre le "charme". Pour pas que ça se voit trop, Néné abandonne son accent d'un seul coup et enrobe le tout dans un ton odieux. Rien de tel qu'une enguelade-surprise-by-Néné pour que le poisson soit noyé. Poiscaille dirait-on. Là l'ouvrier hallucine mais tout prolo qu'il est, avec son besoin de bosser, il se tait. Manifeste un peu de mécontentement mais reste poli. Et Néné se sent grand, se sent beau, se sent éduqué, un peu le roi du monde. Le roi qui restera dans l'histoire pour avoir aboli la barrière de la langue. Un roi riche, beau, fort, adulé, avec une belle reine, une cour dévouée, un gros chateau et une immense BMW... faut pas déconner la calèche c'est quand même un peu daté. Et oui, Néné, l'homme de gauche, a des rêves inavoués de monarque endimanché. C'est pour ça qu'il sourit quand il somnole sous le parasol, c'est à ce mirage qu'il songe. Mais il devrait mieux écouter car à n'en pas douter son ménestrel provençal lui murmure à l'oreille : Qu toujour pren e rèn noun douno, A la fin cadun l'abandouno**.






* Comment ça va ? Comme-ci, comme ça ! Oh, comme c'est beau ! C'est un miracle !
**Qui prend toujours et jamais ne donne, à la fin, chacun l'abandonne.

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Question de territoire & instinct de propriété

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